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Pérou : À l’abri des cimes, la traite d’êtres humains est une réalité 

La traite d’êtres humains sévit au Pérou, notamment dans les régions reculées, où la pauvreté et le manque d’opportunités favorisent l’exploitation. Les enfants, hommes et femmes sont régulièrement piégés par de fausses promesses et deviennent victimes d’exploitation sexuelle, de travail forcé et d’autres formes de traite. La prévention et la sensibilisation, notamment à travers des initiatives éducatives dans les écoles, sont essentielles pour lutter contre ce fléau et protéger les communautés vulnérables. Reportage (Emmanuelle Birraux, Responsable de Communication, Terre des Hommes Suisse / Photo de couverture : Carmen Barrantes)

Il faut plusieurs heures depuis la ville de Cusco pour rejoindre la municipalité de Ccatcca. La route est sinueuse, cabossée, les montagnes majestueuses s’imposent. Je me sens perdue dans cette immensité. Un col en cache un autre, puis un autre. Les habitations se font rares mais l’on peut apercevoir quelques troupeaux de lamas, quelques ânes, rappels que des hommes, des femmes, des familles doivent forcément vivre par ici. Je les devine. Sans forcément les croiser, sans forcément pouvoir comprendre à quel point ces étendues arides, escarpées et isolées sont leurs vies, leurs univers. 

Image de montagnes au Pérou
Montagnes au Pérou

Plus de 4 heures seront nécessaires pour rejoindre la municipalité de Ccatcca où Terre des Hommes Suisse et son partenaire Yanapanakusun sont actifs. Une grande route goudronnée traverse un village, désert à cette heure de la journée. La plupart des habitants ayant déjà rejoint depuis longtemps leurs champs, l’agriculture étant la principale activité de la région. Nous devons aller à l’école située dans les hauteurs du village. La terre a pris la place du goudron et nous nous engageons sur des chemins improbables sans manquer de nous perdre avant d’être guidés par un « moto taxi », un des moyens de transport privilégiés des habitants. 

Les élèves de la commune et de ses environs nous attendent pour une de leurs activités de sensibilisation sur la traite d’êtres humains. Je m’interroge. Pourquoi parler de traite d’êtres humains dans une zone où tout a l’air si paisible, où les sommets enneigés au loin paraissent veiller sur les âmes des lieux ? Une telle tranquillité est trompeuse. 

Au Pérou, la traite d’êtres humains est une réalité. Au niveau national 1908 victimes ont été déclarées par le ministère public, y compris plus de 600 personnes sur le seul corridor sud sur lequel se trouve Ccatcca.  

Dans cette région andines femmes, hommes et enfants sont régulièrement « captés » et exploités. Région pauvre, reculée, les opportunités de travail sont rares. Beaucoup des enfants de l’école vivent chez un « parrain » pour pouvoir étudier. Leurs parents et leurs familles habitent dans des zones trop reculées, à des heures de marche de l’école. La seule option pour pouvoir leur garantir une éducation est alors de les confier à des connaissances. Les laissant souvent seuls et livrés à eux-mêmes, ils sont alors particulièrement vulnérables aux « vendeurs de rêve ». Quand on a 14 ans, 15 ans, n’a-t-on pas envie d’une vie meilleure ? D’un monde où l’argent serait plus facile ? Comment refuser ces offres alléchantes promettant salaires et conditions de travail idylliques ? Il est si facile de se faire ainsi tromper. Et les trafiquants le savent. Ainsi, sur la base de fausses promesses, d’attentions frauduleuses, d’offres d’emploi attrayantes, nombre de victimes se laissent ainsi piéger.  

Carmen Barrantes, responsable du plaidoyer pour Terre des Hommes Suisse au Pérou a beaucoup travaillé sur la question de la traite dans le pays. Elle m’explique que le phénomène est encore considéré comme un crime de droit commun. Il est d’autant plus insidieux qu’il est souvent le fait de personnes de la même communauté (quechua par exemple), de la même famille, d’amis. Les victimes mêmes de trafic deviennent souvent auteurs des mêmes actes et même tromperies.   

Où l’or afflue

Tout ce trafic a une destination principale : Madre de Dios. Située au Sud-ouest du Pérou à la frontière avec le Brésil et la Bolivie, en pleine zone amazonienne, la région faiblement peuplée et isolée est extrêmement riche en matière d’or et de bois. Le Pérou est le sixième producteur d’or mondial et au cours de dernières décennies le pays a connu une croissance extraordinaire de l’exploitation artisanale de l’or. L’activité minière licite et illicite y est intense au prix d’une déforestation incontrôlée, de dommages environnementaux irréversibles. Et au prix de l’explosion de tout type de trafic : travail forcé dans les mines, exploitation sexuelle, exploitation domestique. Ici c’est une autre croissance parallèle qui s’est développé. Sur certains secteurs, le long de la route interocéanique, s’alignent bars (des “prostibars”) et jeunes filles aguichant les mineurs après une dure journée de labeur, signe visible de la façon dont l’exploitation minière a stimulé la traite 

Les habitants de Ccutacca parlent peu, les témoignages sont rares, par peur, par craintes de représailles, par honte. Pourtant, ce n’est un secret pour personne que leur commune est localisée en plein sur la route du trafic : 7 heures, 395 km sur la route interocéanique pour passer de la zone froide (les Andes) à la zone chaude (L’Amazone). Une route pouvant facilement conduire à un véritable enfer pour ces enfants, hommes et femmes. 

La prévention comme outil de lutte

Amelia me raconte que sa sœur avait 11 ans lorsqu’elle est partie travailler dans une maison, alors qu’on lui promettait de pouvoir continuer à étudier tout en aidant une famille avec quelques travaux domestiques : « En fait, elle devait tout faire dans cette maison, elle n’allait plus à l’école. Elle était traitée comme une esclave, n’était pas payée et ne mangeait pas à sa faim. » Amelia n’en dira pas plus. Gênée. Un peu comme si elle en avait dit trop. 

Dans ces zones, un des moyens de lutte est la prévention. Éduquer, informer, parler des mécanismes de captation, des conséquences de la traite sur l’intégrité physique et psychique, autant de points essentiels pour pouvoir agir concrètement contre ce fléau. 

Ce jour, à l’école de Ccatcaa, c’est tout un événement qui est organisé par les élèves autour du thème de la traite des enfants, une fresque est d’ailleurs inaugurée pour l’occasion : « Non à la traite ! » Le message est clair. À chacun des stands, les élèves informent leurs pairs sur les risques liés à la traite, sur les formes que celle-ci prend dans la région où ils vivent, les conséquences sur l’intégrité physique et psychique des personnes. 

« C’est important pour nous de comprendre ce qu’il se passe. C’est important d’être formé sur la problématique. Nos parents souvent ne savent pas de quoi il s’agit. Souvent ils se laissent avoir et nous laissent partir pensant nous offrir une vie meilleure loin des difficultés et de la pauvreté de notre village. Nous pouvons ainsi aussi leur expliquer ce qui se passe. Les risques sont réels. Nous aussi grâce à ces connaissances nous pouvons ainsi agir et nous défendre. Je suis vraiment reconnaissant pour toute la formation que j’ai reçue sur le sujet, et les ateliers organisés autour de ces questions. Je me sens ainsi plus fort »
Alejandro
14 ans

Il sait que seule la prévention ne suffira peut-être pas à éradiquer le problème, tant les conditions de vie sont difficiles dans sa région et tant l’appât du gain peut être fort, mais il sait aussi que cette étape est clef dans la lutte et la protection des enfants et des jeunes.  

Pancarte où il est écrit : "Recherche jeune fille pour un Disco Bar appeler le numéro suivant

Carmen Barrantes, m’explique que les moyens mis à disposition au niveau étatique sont insuffisants, les campagnes de prévention stéréotypées (victimes innocentes prise au piège d’hommes cruels et impitoyables) ne permettent pas de prendre toute la mesure du problème. Dans toute cette complexité, chaque effort n’est pas vain. Terre des Hommes Suisse se distingue ainsi étant une des premières institutions de la société civile au Pérou à travailler sur la prévention de la traite dans le cadre d’un programme communautaire rural, impliquant fille, adolescents et femmes quechua. Une pierre à l’édifice. 

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